J’aime le jardin. Sans doute plus les fleurs que le potager. Je n’ai jamais connu la Fête-Dieu, ses grands reposoirs et ses bouquets odoriférants mais j’adore que ma Nature soit un immense reposoir, une Fête-Dieu perpétuelle, un petit jardin de curé.
J’ai dans la tête les légendes dorées du moinillon qui resta à écouter les chants des oiseaux et qui, sortant de son extase, retrouva, chenu, le chemin du couvent où on l’avait oublié depuis tant d’années… Comme Saint François d’Assise qui vibrait avec la Nature.
J’ai la mémoire de Mademoiselle Marie, la nièce de Monseigneur Louis Parisot, à Brognon, notre arrière-grand-mère adoptive, et son joli jardin de fleurs. Je me souviens de sa cousine, la Ninette, à Saint-Julien, « un petit pot de tabac », comme disent certains, sourde comme un pot, fille de grande vertu qui pêchait beaucoup… de poissons dans la Norges ! Elle avait de la moustache qui piquait MAIS comme il sentait bon, son jardin de roses anciennes, plein de couleurs, d’odeurs qui me restent encore aujourd’hui dans ma mémoire olfactive !
Petite, j’effeuillais les roses de ma grand-mère, j’en remplissais de petits flacons pharmaceutiques en métal que je complétais d’eau, c’était mon eau de rose ! vite croupie, hélas … alors je recommençais !
Parce que ma grand-mère aussi adorait les fleurs ! Elle avait bien quelques géraniums alsaciens (prononcer » chéranioms ») mais surtout des rosiers anciens, des Souvenirs de Lourdes, des agapanthes, des lys de la Madone (« tu fais les tremper dans l’huile d’amande douce et tu t’en sers pour les coupures »), des lys d’un jour, des achillées, des oeillets, des primevères, des perce-neige, des myosotis (« Vergissmeinnicht ! », disait-elle en rappelant le poème de Goethe), le lilas, du muguet (Maiglöckchen, j’apprenais l’allemand sans le savoir), des pivoines officinales, des iris, des buis très bas, des narcisses, des jonquilles, des crocus, des fleurs de cerisiers, des appétits (en français on appelle ça de la ciboulette…), du cerfeuil, les plantes aromatiques et médicinales, le bonheur de mes premières années !
Alors innove-t-on jamais ? Je ne suis pas sûre. Peut-être ne reproduit-on que ce qu’on a connu. Peut-être essaie-t-on seulement de recréer le Paradis perdu. Je veux qu’il soit beau. Je veux surtout qu’il soit aussi plein de senteurs. Qu’on s’en mette plein les mirettes et la narines ! Si on est malvoyant, au moins sentir que c’est beau !
Au fond, je n’aime pas l’apparat. J’aime me faire surprendre. Dénicher dans un jardin le chèvrefeuille tapi, le jasmin qui va bien, la rhubarbe acide, la mélisse, la menthe, la sauge sclarée (la toute bonne, dit-on, pour moi, juste une sueur aigrelette ..), l’armoise, le sureau hièble (beurk !), tout ça, quoi !