Chez mes grands-parents Huard, à Brognon, la table n’était souvent desservie que pour satisfaire les appétits de fil des femmes de la famille.
Ma grand-mère était elle-même le produit d’un croisement entre les maraîchers et les artisans du fil, tailleurs et couturières. Même si mon grand-père était issu par son père d’une famille de bonnetiers de Pouan-les-Vallées, il a été orphelin à six mois le 6 mai 1915 d’un éclat de schrapnel qui inopinément éventré son père à Lorette. Il a été élevé par sa mère, Charlotte, institutrice et un temps préceptrice à Trèves et est morte jeune. Je lui dois mon amour des arbres mais pas du fil …
Ma grand-mère cousait. Il fallait bien aussi vêtir leurs 10 enfants sans faire trop de frais. Elle a cousu la robe de mariée de ma mère assistée de ma tante Chantal, qui à son tour cousu celle de Marie-Ange, robes, rideaux, coussins, … tout y passait. Chacune (ou presque) se mettait à son ouvrage, qui de son tricot, de son crochet, de ses aiguilles à coudre, à broder ou repriser, qui de son patchwork, NON, TU EN PRENDS PAS LES CISEAUX A COUDRE POUR COUPER DU PAPIER !
Bizarrement, c’est mon oncle Jacques Convers, un ancien de l’Indochine, côté Etienney, qui m’a appris le tricot. Tu attrapes le voleur, tu lui passes la corde au cou et tu le jettes par la fenêtre. 50 ans après, c’est aussi à lui que je pense à commençant un nouveau tricot.
Je faisais des tricots basiques, surtout pour mes poupées, il faut dire que je bénéficiais des largesses de fin d’ouvrages… Il en allait pareil pour les chutes de tissu.
Mais en juillet 2010, alors que je rentrais de sortir (eh oui..) les chèvres au pré, une enclume m’est tombée sur la tête. J’ai bien su plus tard que l’enclume était cérébrale et avec le goût du luxe qui me caractérise, je l’ai agrémentée d’un AVC sur le billard. Il a fallu ré-apprendre à parler, à l’époque écrire une phrase correcte me prenait au bas mot trois quarts d’heure. J’ai repris mes aiguilles pour activer mon cerveau. Les séquelles sont toujours là et le resteront mais je tricote. J’aime créer des choses que je n’ai jamais faites, j’aime comprendre, c’est l’école de la patience et de la constance.